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François Villeroy de Galhau a estimé que la BCE ne devrait pas augmenter de nouveau ses taux directeurs, mettant ainsi sur pause sa politique de resserrement monétaire en cours depuis juillet 2022. A la Bourse de Paris, le CAC 40 a clôturé à un plus haut qu'il n'avait plus atteint depuis un mois. Outre-Atlantique, une nouvelle hausse des taux n'est pas exclue a averti jeudi le président de la banque centrale américaine (Fed), Jerome Powell.
Ce pourrait être bel et bien la fin, tant attendue, du resserrement de la politique monétaire opéré par la Banque centrale européenne (BCE) depuis juillet 2022. C'est du moins ce que veut croire François Villeroy de Galhau. Selon le gouverneur de la Banque de France, « nous sommes en train de gagner la bataille contre l'inflation et sauf surprise, sauf choc, la hausse de nos taux directeurs, c'est fini ». Un discours optimiste qu'il a toutefois nuancé en ajoutant qu'il était « trop tôt pour parler de baisser ».
« Je ne dis pas : nous avons déjà gagné » la bataille contre l'inflation, a encore ajouté celui qui est membre du conseil des gouverneurs de la BCE, tout en se disant convaincu que « nous allons ramener l'inflation vers 2% d'ici 2025 ». Et de préciser : « Ceci vaut pour la France comme pour la zone euro ».Objectif 2% d'inflation
Pourtant, l'inflation dans la zone euro (les vingt pays à avoir adopté la monnaie unique) n'a toujours pas atteint la cible des 2%, seuil synonyme de stabilité des prix pour assurer l'équilibre de l'économie, la principale mission de la BCE. En octobre, son taux atteignait encore 2,9% sur un an, selon Eurostat. C'est néanmoins son niveau le plus bas depuis plus de deux ans. Il était de 4,3% sur un an en septembre et de 5,2% en août.Si on regarde l'indicateur sur l'inflation, le processus de baisse a été entamé, résume ainsi Christopher Dembik », conseiller senior en stratégie d'investissement chez Pictet AM, estimant que « la BCE ne serait pas prête à accepter une récession grave pour faire diminuer l'inflation à 2% ». Car c'est là l'une des conséquences du virage pris par l'institution monétaire depuis plus d'un an qui a freiné tant la consommation, que l'investissement.
Pour rappel, le 26 octobre dernier, si elle a annoncé maintenir sa fourchette de taux d'intérêt directeurs entre 4% et 4,75% - soit leur niveau le plus élevé depuis la création de l'euro, en 1999 - elle les avait augmentés un mois plus tôt de 0,25 point de base en septembre... pour la dixième fois consécutive.
Risque de récession
Des relèvements qui ont lourdement pesé sur la croissance de la zone euro estimée par les instituts de prévision entre 0,6% et 0,8% en 2023. Sans compter que « les gouvernements soutiennent désormais moins l'activité économique du fait de leurs dettes publiques creusées par les conséquences de la crise sanitaire puis de la guerre en Ukraine », rappelle Sandrine Levasseur, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) - science Po.
De quoi continuer de faire planer le risque d'une récession pour 2024. L'Allemagne, particulièrement en difficulté, a vu son PIB se contracter de 0,1% au troisième trimestre quand celui de l'Italie a stagné, les deux pays échappant de justesse à la récessionUn répit que n'a pas eu l'Autriche qui est, elle, entrée en récession avec un PIB en chute de 0,6% après un recul de 0,8% le trimestre précédent.
La République tchèque (-0,3%), l'Estonie (-0,2%), la Lituanie (-0,1%), le Portugal (-0,2%) mais aussi l'Irlande (-1,8%) ont également vu leur économie se replier. L'Espagne a vu son PIB ralentir (+0,3%) sur fond de résultats décevants de son commerce extérieur.
« On commence à avoir des indications sur le fait que la politique monétaire est trop restrictive », résume Christopher Dembik à La Tribune. « En France par exemple, avec une cible d'inflation à 2% et de croissance à 1,5%, il faudrait que les taux directeurs se situent à 3,5% », contre entre 4% et 4,75% actuellement dans la zone euro, explique-t-il.
Autre illustration : « La chute des crédits est inquiétante, surtout sur un laps de temps aussi rapide, ce qui est également un bon indicateur de cette politique trop restrictive », indique encore l'analyste.
Isabel Schnabel ne ferme pas la porte à une nouvelle hausse
Pour autant, tous les membres du directoire de la BCE ne sont pas convaincus par la nécessité d'y mettre fin. Isabel Schnabel a ainsi demandé la semaine passée de ne pas « fermer la porte à une nouvelle hausse » des taux d'intérêt sur le chemin potentiellement instable pour ramener l'inflation à 2%. « Après une longue période d'inflation élevée, les anticipations d'inflation sont fragiles et de nouveaux chocs du côté de l'offre peuvent les déstabiliser, menaçant la stabilité des prix à moyen terme », a-t-elle estimé.
C'est l'un des arguments qui demeurent en faveur d'un nouveau relèvement : « La volatilité de l'inflation, reconnaît Christopher Dembik. Aujourd'hui, on a une visibilité de l'évolution de l'inflation à seulement trois mois ». D'autant que la décélération de celle-ci observée ces derniers mois s'explique principalement par le ralentissement de la progression des prix de l'énergie. De son côté, l'inflation sous-jacente (hors énergie et produits frais notamment), bien qu'en baisse, se situait toujours à 7,5% sur un an dans la zone euro en octobre.
Reste donc à savoir si c'est bel est bien la fin des hausses de taux ou simplement une pause qui pourrait déboucher sur un nouveau resserrement de la part de la BCE. Seule certitude, il apparaît exclu qu'elle opte pour une baisse des taux.
« Le marché monétaire considère que l'on va connaître une première baisse en juin prochain. Mais, de mon point de vue, c'est trop prématuré et ces prédictions entrent en contradiction avec le discours de la BCE qui affirme que les taux seront élevés pendant longtemps. Or "longtemps", ce n'est pas six mois », tranche Christopher Dembik.
Pas de baisse de taux en vue
De manière générale, l'ère des taux bas, voire négatifs, provoquée par la crise de la zone euro une dizaine d'années plus tôt, « est indéniablement une parenthèse terminée », conclut-il, car « lorsque vous prêtez à un Etat, vous prenez un risque et vous vous attendez à en tirer une rémunération. C'est donc une aberration d'avoir des taux négatifs ».
La politique monétaire de la BCE devrait donc continuer de peser sur l'économie des pays de la zone euro. D'autant qu'il apparaît encore difficile de mesurer l'étendue des conséquences des hausses de taux, de nombreuses entreprises devant se refinancer dans les mois à venir, et donc, à des taux bien plus élevés qu'auparavant. Le secteur immobilier en particulier subit de plein fouet le resserrement monétaire avec un fort ralentissement de la demande, les taux plus hauts réduisant drastiquement le nombre de crédits accordés. « L'accès à la propriété à court terme sur l'année à venir va être très compliqué notamment pour les primo-accédants qui doivent désormais présenter une capacité financière et un apport très significatifs, ce qui privilégie une certaine catégorie de la population », constate Christopher Dembik. La solution : « le levier d'ajustement qu'on peut imaginer c'est une baisse des prix, mais ce n'est pas automatique, ça peut prendre du temps », nuance l'analyste.